Dans cet épisode, nous remontons aux origines de la Crickx, aujourd'hui renommée Publi Fluor, une pratique artisanale du lettrage. Tout commence en 1943 avec la naissance de Chrystel Crickx, fille de Raymond Crickx, lettriste bruxellois renommé pour son travail dans les années 50 et 60. Chrystel reprend la boutique Publi Fluor en 1973, après le décès de son père. À partir des années 70, elle y découpe manuellement des lettres en vinyle, vendues aux commerces locaux de Schaerbeek. La boutique devient un point de référence pour les enseignes de quartier, jusqu'à sa fermeture en 2001. C’est à ce moment-là que Pierre Huyghebaert rachète le stock et sauvegarde les archives, conscient de leur valeur.
Quand j'étais étudiant, cette police m’intriguait : des formes simples, mais irrégulières, comme si elles avaient été découpées avec un cutter, un geste direct et sans fioriture. À l’époque, je l’avais téléchargée sur le site d’Open Source Publishing (OSP), un collectif de graphistes et typographes bruxellois engagé dans le mouvement des logiciels libres et le partage ouvert des ressources. Pour moi, elle se distinguait par son côté brut et efficace, sans que je sache encore l’histoire fascinante qui se cachait derrière.
C’est ce parcours singulier que nous explorons dans cet épisode, accompagné par cinq invité·e·s membres du Groupe de recherche Crickx. Chacun et chacune ont contribué à la valorisation et à l’élargissement de son héritage, passant d’un travail artisanal à un projet ouvert et collaboratif.
La boutique Publi Fluor de Chrystel Crickx ne ressemblait à aucune autre. Quand elle reprend la boutique de son père dans les années 1970, Chrystel transforme son modèle économique : au lieu de faire des lettrages in situ comme lui, elle vend des lettres prédécoupées directement dans sa boutique, laissant à ses client·e·s le soin de les installer eux-mêmes. Cette pratique unique et autonome a permis la conservation de son travail, car ces lettres sont restées dans en l'état et prêtes à l’emploi. Ce vinyle adhésif, fluorecent et abordable, offrait une durabilité et un effet visuel différenciant. L’usage de ce matériau rend les lettres Crickx à la fois populaires et immédiatement reconnaissables, une caractéristique rare dans un secteur où le lettrage se faisait généralement sur mesure et par des artisans peintres en lettres.
Au début des années 2000, Chrystel cesse son activité. Pierre Huyghebaert, graphiste et enseignant, remarque la valeur de ce travail manuel. En 2001, il rachète l’ensemble des lettres, bien conscient de leur potentiel mpatrimonial. Vingt ans plus tard, ce premier geste de sauvegarde prend une nouvelle dimension avec la formation du Groupe de recherche Crickx, où Pierre et d’autres professionnel·le·s et amateur·ices de la typographie s’engagent à explorer, documenter et partager l’histoire de cet atelier si singulier.
Ce groupe, composé de Pierre Huyghebaert, Sophie Boiron, Olivier Bertrand, Nathan Izbicki, David Le Simple, Ludivine Loiseau, et Femke Snelting, a pour ambition de transformer cette archive en une ressource vivante. Ensemble, iels publient un livre et une police numérique augmentée, rendant cet héritage accessible à tou·te·s. Mes invité·e·s partagent leurs expériences et expliquent comment chacun·e a contribué à ce projet collectif, passant d’une archive statique à un écosystème dynamique.
La police Crickx, créée à partir des lettres originales, est distribuée sous la licence CC4R. Cette licence permet à tout utilisateur·rice d’employer et de réinterpréter la police, à condition de respecter son origine collective et de contribuer à son développement continu. En diluant l’idée d’auteur·rice unique et l'image du génie créatif·ve, cette licence encourage la création d’une œuvre évolutive, où l’héritage de Chrystel devient une ressource commune, enrichie par chaque nouvelle réutilisation. Le projet ne s’arrête pas à la publication du livre ; il invite au contraire à une réflexion sur la propriété, la transmission, et la manière dont une œuvre peut évoluer dans un cadre ouvert et inclusif.
Le projet Crickx est devenu bien plus qu’une archive ; c'est un écosystème festif, où chaque collaborateur·rice porte l’héritage de Chrystel. Ce collectif de typographes, graphistes et chercheur·se·s a su créer un espace pour faire revivre cette œuvre, tout en réinventant son usage dans une dimension collective. La Crickx dépasse donc son contexte initial pour devenir un terrain de jeu typographique, un moyen d’explorer la limite entre le lettrage artisanal et la typographie numérique. Le livre publié par les éditions Surfaces Utiles est une célébration de cet art de la lettre et de l'œuvre de Chrystel, mais aussi du chemin parcouru par le Groupe de recherche Crickx. Dans cet épisode, nous revenons sur les différentes étapes de ce projet, de l’histoire de Chrystel à la numérisation des lettres, en passant par le choix de la découpe manuelle. Mes invité·e·s partagent également les enjeux autour de l’autorat et des pratiques libres, qui redéfinissent l’accès à la culture typographique.
Références
- Les Éditions Surfaces Utiles
- La Revue La Perruque
- l’ESA Bruxelles
- Le livre Publi Fluor
- Speculoos
- Open Source Publishing (OSP)
- Le site de l'archive Publi Fluor
- Licence OFL
- Licence CC4R
- À 34:45 : il est mentionné début des années 2000 pour le premier contact de Pierre avec la Crickx, alors qu'il s'agit en réalité de la fin des années 1990.
- À 42:36 : le nom cité est Antoine Gelgon, mais il s’agit en fait d’Antoine Begon.
Nous nous excusons pour ces inexactitudes. Merci pour votre écoute et à la fois prochaine !